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Quand des «chrétiens de gauche» débattent euthanasie et mariage gay

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Invitez, sur internet, une trentaine de « chrétiens de gauche » plutôt intellos (soit dit sans ironie aucune), à pétitionner auprès du nouveau gouvernement pour demander un large débat citoyen sur ses projets « sociétaux » et vous obtenez une idée assez précise de la diversité d’opinions de ce microcosme.

Appelons cela un débat inattendu. Le 26 juin dernier, je sélectionnai dans mon carnet  d’adresses personnel, trente-cinq noms d’ami(e)s plus ou moins proches, que j’identifiai de sensibilité politique « de gauche ». Objectif de ma démarche ? Leur soumettre, via internet, un projet de texte (1), rédigé avec quelques amis, à fin de publication dans la presse.

Un texte disant tout à la fois : notre ancrage à gauche, notre confiance à François Hollande et à son gouvernement pour mener une politique de redressement et de justice sociale, mais également nos questionnements face à des réformes sociétales visant la fin de vie, le mariage gay et l’homoparentalité, susceptibles, selon nous, de diviser l’opinion. D’où notre demande au nouveau pouvoir socialiste de prendre le temps d’un large débat citoyen, auquel puissent s’associer l’ensemble des familles religieuses et philosophiques de notre pays, avant le vote final au Parlement.

« Chrétiens de gauche », un concept dépassé ?

Qu’attendais-je au juste en envoyant mon message ? Quelques signatures assurément ! Or, de signatures… point à ce jour, du moins sur cet envoi « en réseau » (2). Mais un débat immédiat, spontané, fraternel et… passionné à souhait. Un débat d’où ressortent, me semble-t-il, trois idées forces. Tout d’abord les chrétiens dits « de gauche » répugnent à se déclarer tels. Ils considèrent – à juste titre – que, sur ces sujets de société, le clivage ne passe pas entre la droite et la gauche. Plus radicalement encore, il leur semble que cette appellation ne correspond plus à aucune réalité. Même si, paradoxalement, l’un d’eux (3) écrit : « Je me sens de plus en plus chrétien de gauche mais je trouve cette expression de moins en moins pertinente. » Seconde idée forte : nombre de commentateurs contestent le rapprochement opéré, dans notre texte (4) entre fin de vie, mariage gay et homoparentalité. Il y a là, selon eux, un amalgame qui leur rappelle fâcheusement l’argument de « non négociable » développé jusqu’à l’hystérie, dans certains milieux catholiques, durant la campagne pour la présidentielle. Pour quelques-uns, ce rapprochement est d’autant plus malheureux qu’ils se sentent et se disent à la fois « interrogatifs » sur la question de l’aide à mourir, mais « ouverts » à l’idée d’un mariage pour tous, voire même à l’adoption par des couples homosexuels.

Des positions divergentes

Une telle « ouverture » ne fait pas pour autant l’unanimité, ce qui illustre mon troisième constat : l’extrême diversité des positions des uns et des autres. La question du mariage gay, par exemple, divise profondément ces « chrétiens de gauche ». L’éventail des opinions va de l’adhésion sans réserve au refus de toute légalisation exprimé sur le site de la Vie par Xavier Lacroix  (5), sur la base d’arguments de type anthropologique, à la mise en cause radicale de son argumentation, soupçonnée de servir d’alibi à un choix purement idéologique. Au théologien moraliste qui pose comme essentielle la distinction entre «accompagner» les situations existantes de parenté homosexuelle et en «instituer» de nouvelles par la loi, tel de nos amis objectent le poids du réel et la non-pertinence de toute référence à une forme de «loi naturelle». Autant d’arguments avancés… autant de réfutations. Un vrai dialogue, mais de sourds.

Sur l’euthanasie, le choc est moins frontal. Beaucoup évoquent pour le moins «un questionnement», expriment la crainte que, «comme pour l’avortement, on en arrive à une banalisation de la provocation de la mort» ; un contributeur souligne ce qu’il perçoit comme une forme d’aveuglement de la part de l’opinion : «A propos de l’euthanasie, les Français ne veulent pas entendre le discours sur les soins palliatifs, ils veulent que l’euthanasie soit possible ; on réfléchira après sur les conséquences et les aménagements. » D’autres, à l’opposé, mettent en avant l’inquiétude compréhensible des Français quant aux conditions «dans lesquelles se joue la mort» dans un système hospitalier en grande difficulté financière et ajoutent que «l’on pourrait aussi s’interroger sur la liberté de ne plus vouloir vivre.» Conscient de ces divergences, chacun se dit ouvert au plus large débat, sans tabou, mais thème par thème. Mes amis me permettront cette observation amicale et volontairement malicieuse : le texte qui leur était soumis et qu’ils ont estimé ne pas pouvoir signer, ne demandait pas autre chose !

Débattre oui, mais pour quoi et avec qui ?

Cette ouverture au débat ne constitue pas une bien grande surprise. La culture de gauche est, par goût, une culture du débat, nourrie parfois jusqu’à l’impuissance. Dans nos échanges, l’un évoque : «Un débat qui est une chance pour la société mais aussi une chance pour des chrétiens de vivre leur identité de «croyants» à travers celle de «citoyens.» Un débat qui, à ses yeux, devrait : «Donner à penser à partir de l’expérience des hommes d’aujourd’hui, interroger les réalités sans que les idéologies les masquent, avant de passer au vote.»

Mais débattre pour quoi et avec qui ? L’un des contributeurs à cet échange analyse qu’en France la question du mariage gay est aujourd’hui «devenue dogmatique, (…) sortie du cadre de la délibération démocratique raisonnable.» Dès lors, suggère-t-il : «L’aborder c’est se piéger. Et, pour les chrétiens, prendre tout simplement le risque d’apparaître comme d’affreux réactionnaires refusant les évolutions inéluctables des sociétés modernes.» Avec cette conclusion : «Je ne suis pas certain que ce soit un front prioritaire à ouvrir pour les chrétiens, ou alors avec un maximum de générosité, de prudence et d’audace.»

Autre difficulté : l’impossibilité pour les croyants de débattre «officiellement» de tout cela au sein de l’Eglise catholique dont le Magistère semble, de manière permanente, avoir réponse à tout. Ce sont les prêtres (6) qui évoquent cet aspect des choses avec le plus de force. «Tu invites à un vrai dialogue, qui doit pouvoir être conduit partout, y compris au sein de notre Eglise. Or tu sais comme moi que cela n’est pas envisagé » écrit l‘un ; tandis qu’un de ses confrères plaide, sans trop d’illusion pour « que la hiérarchie ne vole pas, une fois de plus, la parole du «peuple» de Dieu».

Sur les blogs et sites de «chrétiens de gauche» ou de «chrétiens protestataires», l’échange d’arguments pour ou contre l’euthanasie, le mariage gay et l’homoparentalité a commencé il y a des mois. Nul doute qu’il ira en s’amplifiant au cours des prochains mois, à l’approche des échéances législatives. Par goût du dialogue mais surtout par désir manifeste, sur ces questions sociétales, de ne pas laisser le monopole d’une «parole catholique» aux seuls groupes «tradis», très actifs sur la toile, ou à l’épiscopat.

Priorité à un agir «en chrétiens» ?

Mais est-ce aussi simple ? Les Français s’intéressent-ils vraiment à l’opinion des chrétiens sur des questions pour lesquelles il n’est pas assuré qu’ils souhaitent vraiment un débat, hors du cadre parlementaire ? A leurs yeux, l’Eglise catholique ne s’est-elle pas depuis longtemps déjà mise elle-même «hors du jeu démocratique», en contestant au législateur le droit de mettre en délibéré un «ordre naturel» d’essence divine et immuable ? Quant aux élus socialistes et au gouvernement, qu’ont-ils réellement «à faire», sur ces sujets, de l’opinion des «chrétiens de gauche» ? Le fait même que ces derniers s’avouent «partagés» sert plutôt les projets du pouvoir en place. Si un point de vue est susceptible d’intéresser le gouvernement, en termes de rapports de force, c’est sans doute et uniquement celui de la Conférence des évêques de France dont il est peu probable qu’il dépasse la simple expression d’un désaccord… radical. Et sans effet ?

Alors, mes ami(e)s, à vous lire, la question s’impose à moi : à quoi bon débattre, publiquement, entre nous ? Avec l’espoir d’infléchir la position officielle des évêques ? Illusoire ! Et d’ailleurs, dans quel sens l’infléchir ? Plus profondément et utilement sans doute, pour continuer à affirmer durablement dans le paysage ecclésial, la volonté des baptisés que nous sommes, d’agir individuellement ou à plusieurs «en chrétiens», et non uniquement, communautairement et sous la houlette de nos évêques, «en tant que chrétiens». Conformément à l’enseignement de Gaudium et Spes (7). La première attitude concédant une forme de liberté que n’autorise pas la seconde.

Autant dire, cependant, que cet «agir en chrétien» est un positionnement plus propice à l’accompagnement ultérieur de situations nées des nouvelles lois en préparation, que destiné à contrer vraiment leur adoption.

(1) Un texte pour l’heure non encore public mais qui arrivera bientôt sur ce site.

(2) Si je précise ce point de détail, c’est qu’à mon sens les premiers à réagir, négativement, à notre initiative, ont contribué à nourrir la réserve des autres, ce qui eut un effet désastreux sur la quête de signatures mais extrêmement positif sur la richesse du débat. Les personnes sollicitées par moi ultérieurement, de manière individuelle, ont réagi différemment.

(3) Par courtoisie élémentaire vis-à-vis des participants à ce débat « privé », j‘ai choisi de ne citer aucun nom même si je ne résiste pas à apporter cette précision que la plupart sont des hommes et des femmes « de plume » connus.

(4) Rapprochement opéré, dans notre texte, uniquement pour souligner la nécessité de débats ouverts sur l’ensemble de ces questions.

(5) Xavier Lacroix est également philosophe, membre du Comité national consultatif d’éthique.

(6) Plusieurs prêtres figurent parmi les contributeurs à ce débat.

(7) «Surtout là où existe une société de type pluraliste, il est d’une haute importance que l’on ait une vue juste des rapports entre la communauté politique et l’Église ; et que l’on distingue nettement entre les actions que les fidèles, isolément ou en groupe, posent en leur nom propre comme citoyens, guidés par leur conscience chrétienne, et les actions qu’ils mènent au nom de l’Église, en union avec leurs pasteurs.» G et S. n°76-1.

Article écrit par René Poujol



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