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Questions de mœurs : quelle attitude politique de la part des catholiques ?

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Face aux projets du gouvernement sur le mariage homosexuel, sur l’adoption par les couples homosexuels et sur l’euthanasie en fin de vie, nous sommes tentés de réagir, comme catholiques (ou comme « chrétiens », mais je ne veux pas parler pour les protestants), avant tout en affirmant des convictions morales et religieuses (voire évangéliques), ou encore anthropologiques, mais nous peinons à définir une attitude politique. Il faudrait pourtant essayer d’aborder sans détours la question : que ferons-nous, catholiques, et que devrait faire l’Eglise, le jour, proche, où ces questions passeront au Parlement ? Un texte de Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions.

A priori, ces projets seront votés par la gauche archi-majoritaire et unanimement d’accord, semble-t-il, pour ce « progrès », cette « avancée » – puisque c’est présenté ainsi (et qu’on va finir par le croire, comme le croit, semble-t-il, la majorité de l’opinion publique). Une partie des députés de droite (R. Bachelot, par exemple) ou du Centre radical risquent d’ailleurs de rejoindre la gauche. On peut penser aussi que pour la discussion de ces projets, le gouvernement choisira le moment politique le plus opportun pour lui.

Comme tout le monde, je constate cependant que sur la fin de vie, le président de la République n’aime pas le mot « euthanasie » ; même s’il pense qu’il faut améliorer encore la loi Léonetti, j’ai l’impression que pour sa part, il s’en serait volontiers tenu à cette loi. J’ai tendance à lui faire crédit d’une réserve ou d’une prudence sincères, mais c’était une promesse de campagne, et il a les mains liées.

Il souhaite donc au moins un débat sur ce point. J’ignore ses convictions sur les deux autres projets. Mais en tout état de cause, c’est politiquement « cuit ». Il faudrait donc plutôt se placer dans cette perspective. Que dire, que faire concrètement le jour où ces projets seront discutés ?

La situation risque d’être comparable à celle de 1974 pour l’IVG et de 1998 pour le PACS…

Pour nous, catholiques, peu importent ce que chacun pense en conscience de chacun des trois projets, et les belles tribunes que nous ne manquerons pas de lire et auxquelles chacun de nous pourra tenter de participer… Non pas que cela soit inutile : j’ai personnellement beaucoup appris, et j’apprends toujours, des réflexions et des controverses créées par les un(e)s et les autres.

Mais elles m’éclairent d’autant moins sur une attitude pratique à tenir que beaucoup se disent finalement incertain(e)s sur le fond et sur la position à adopter – d’ailleurs différentes selon les trois questions discutées. Or nous allons nous trouver dans une situation absolument semblable à celle qui a prévalu en 1974 pour l’IVG et en 1998 avec le PACS : une ou des lois seront votées qui vont de toute façon s’imposer et entrer tranquillement dans les institutions et les mœurs, comme « une liberté des modernes », liberté dont le propre est, avec l’appui de la science comme toujours, d’aller jusqu’au bout du bout de sa logique (la science résiste toujours à ne pas faire tout ce qu’elle est capable de faire : je suis presque certain que le clonage arrivera sur le tapis un jour, ainsi que le choix possible du sexe de l’enfant, etc.). Restera le souvenir d’une Eglise toujours opposante, qui s’en trouvera encore un peu plus déconsidérée et marginalisée.

Peut-être tout cela est-il un énorme mensonge…

Certes, sur le fond, tout cela – toutes ces « avancées du progrès » – est peut être un gros, un énorme mensonge malgré tout, par rapport à tout ce qui reste de nature en nous, gens de culture de plus en plus artificialisés, et aussi par rapport à tout ce qui nous a été révélé dans la sagesse simple et dynamique des Ecritures sur le sexe, la souffrance et la mort.

Peut-être qu’il y des catastrophes qui se préparent (« la liberté absolue ou la Terreur », disait le vieux Hegel dans la Phénoménologie de l’Esprit) ; peut-être en particulier que tous ces enfants qui vont naître d’un parole mutuelle (on l’espère) et peut-être d’« une seule chair », mais quand même en passant par l’écran de la science et de la technologie et d’une manipulation externe, et qui seront confrontés à une « parentalité » aux figures multiples et incertaines, auront-ils un problème colossal avec leur origine (c’est surtout ce dernier point qui me gêne : je croyais que Sigmund, Lacan et Dolto avaient tout dit là-dessus, et que ce qu’on m’avait enseigné sur l’envahissement mortel, instrumental, des techno-sciences dans notre univers naturel était un grand malheur pour notre monde vécu…, mais j’apprends que je me trompais grossièrement et je n’étais qu’un « phobe »).

… ou peut-être cela sera-t-il sans grande conséquence

Mais peut-être n’y aura-t-il rien du tout, pas ou peu de conséquences tangibles, c’est-à-dire : ce ne sera pas pire qu’aujourd’hui, où nous sommes déjà envahis par tant de techniques qui ont transformé notre vie, et peut-être que la société démocratique et l’Etat providence seront (apparemment) toujours assez forts pour surmonter ou absorber tout ça, ces petits malaises et ces dépressions dans nos civilisations qui résultent de nos inventions.

Personnellement, je suis tenté de penser que le « modernisme » agressif de certains socialistes en matière morale et en permissions données aux individus contribue à démoraliser la société, à lui faire perdre toute orientation aussi en d’autres domaines que les trois sujets concernés – mais en réalité, il faut bien reconnaître que l’éclatement de la « famille » par exemple (alors que « la » famille est en théorie valorisée plus que tout, selon les sondages sur ce qui a valeur !) a déjà atteint de telles dimensions, avec le taux des divorces et le nombre de familles monoparentales, qu’on se demande bien ce qui pourrait encore déstabiliser davantage une situation familiale détériorée (et le statut du mariage en même temps, en tant qu’union d’un homme et d’une femme).

La dégradation de la structure familiale appartient déjà au passé

C’est même la situation catastrophique de la famille nucléaire traditionnelle (un père, une mère, un ou deux enfants) qui permet aux gays de se présenter comme une alternative plus favorable aux enfants que la situation présente… En tout cas, un ami philosophe que j’estime est plus horrifié par la violence faite aux enfants par les divorces démultipliés que par les nouvelles lois en préparation, qui ne l’inquiètent pas du tout. On le voit bien : le point de départ de sa réflexion est la dégradation déjà réalisée du « bloc de l’intime », du début à la fin de la vie. A partir de là, on cherche pragmatiquement des solutions, sans se donner une définition préalable, anthropologique, de l’homme et des rôles différents tenus en principe par les sexes – rôles qui sont déjà très ébranlés.

L’Eglise : instance légitime ou réactionnaire ?

L’Eglise voit et prêche plutôt la catastrophe annoncée (la « civilisation de mort » de notre cher Jean-Paul II), mais il faut bien le dire : ces prophéties de malheur sont assez éloignées de la réalité vécue. Sont-elles bibliques ou évangéliques ? C’est à voir. La catastrophe pour les gens est plutôt dans l’économie, dans le fait d’être inquiet pour leur avenir matériel et leur vie quotidienne. Et chacun veut avoir sa part de bonheur privé, éviter les souffrances – dont les pires sont celles que la « nature », encore elle, leur aurait assignées au point de départ. Out la fatalité et la résignation ! On n’en veut plus, et tous les moyens sont bons pour en sortir (cf. les mères porteuses : on en parle quand déjà ?).

De toute façon, vie privée ou vie publique, l’Eglise est dans l’opposition impuissante, faute d’avoir encore le moindre levier pour influencer les décisions et imposer ses normes. Je crois aussi que depuis 1969 au moins, sinon avant, son opposition à tout, en ces domaines de la vie humaine du début à sa fin, l’a déconsidérée : elle apparaît moins comme une instance légitime avec qui il est intéressant de discuter qu’une institution réactionnaire qu’il faut combattre. Mais quand on dit « l’Eglise » ici, de qui parle-t-on ? Des derniers papes qui ont pris cette orientation rigoriste (et qui sont moins compréhensifs pour les « avancées scientifiques » que Pie XII !) ?

Pas sûr que les cathos soient si ulcérés que ça par le mariage homosexuel…

Dans le bocal catho, seuls s’agitent les « tradis » et les intégristes sur le créneau de la morale privée et contre des lois qui permettent des « avancées ». Que représentent-ils réellement, si on fait abstraction de leur activisme traditionnel, si l’on peut dire, et de l’héritage maurrassien qui semble reprendre chez certains, les plus activistes, un peu de poil de la bête et l’habitude du coup de poing ? Rappelons ce que le très sérieux Jérôme Fourquet, de l’IFOP, dit de la masse des catholiques pratiquants (14% en rassemblant large) : ils privilégient les politiques gouvernementales en matière d’école libre (« privée », pour ceux qui préfèrent) et les politiques de soutien à la famille. Seuls les militants (tradis) s’occupent activement des questions qui font mal, les uns par conviction profonde et sincère fidélité aux enseignements des papes et à l’Eglise, les autres par pure opposition politique, et pour tirer les marrons du feu d’une situation qu’ils croient favorable pour eux.

Est-ce que les catholiques ordinaires seront ulcérés si les homos fondent eux aussi des « familles », avec des avantages similaires ? J’en doute. Est-ce qu’une loi sur la fin de vie et l’euthanasie les inquiètera ? Non, ils pensent qu’ils ne seront pas concernés, eux, le moment venu, parce qu’ils ont une autre conception de la fin de vie et de l’accompagnement des mourants. Est-ce que le mariage homosexuel les gênera ? Probablement pas : il suffit d’aimer, n’est-ce pas (c’est comme au début de la cohabitation juvénile dans les années 70 : « s’ils s’aiment, qu’est-ce qu’on peut leur reprocher ? », disaient les grands-mères). Si on avait encore des doutes, d’innombrables télés, films, livres, etc. se chargent de nous montrer la franche (et même parfois franchouillarde) et saine normalité homosexuelle…

Tout ça fait-il partie de l’avachissement général, de la société molle, dénuée de valeurs et de repères, qui crée ses replis et ses niches identitaires par ailleurs ? Peut-être, mais ce genre de procès n’aboutit pas à grand-chose tant qu’on n’arrive pas à formuler mieux ce qui ne va pas et ce qu’il faudrait changer ou empêcher. Plus juste me semble être la multiplication des « droits-créance », soulignée par Jean-Pierre Rosa, c’est-à-dire des droits qui en fin de compte ne peuvent être honorés, ou qui ne peuvent remplir leurs promesses.

La souffrance a-t-rlle le moindre sens en dehors de la foi ?

En fait, à mon avis, ceux qui promeuvent ces nouvelles lois « qui permettent » veulent surtout qu’elles existent, au nom de l’égalité pour les unes, et pour d’autres au nom de la suppression de la souffrance – un des « programmes » qui meut en permanence la science moderne et les espoirs qu’on place en elle. Mais, de fait, la souffrance a-t-elle encore le moindre sens en dehors de la foi – et en particulier de la croix du Christ ? Mais même là : en quoi les théologiens nous aident-ils à comprendre aujourd’hui (et pour aujourd’hui, je veux dire : pour en parler intelligemment) le sens de la croix ? Il se peut qu’il y ait des choses (pardon pour mon ignorance !), mais je n’ai pas lu ni vu grand-chose récemment sur le thème de la « rédemption ».

Au final, ces lois, à mon sens, concerneront peu de monde – sauf peut-être celle de l’adoption généralisée à tous les couples en tous genres. Même si des homosexuels désirent donner sens à leur amour et leur fidélité en se mariant à la mairie – par un acte public donc –, j’ai tendance à penser que la majorité – et en tout cas l’aile la plus bruyante en faveur d’une loi – n’a aucune envie de se marier. De même, je ne suis pas tellement inquiet sur le nombre de demandes de « suicides assistés ». On veut que la possibilité existe, pour se rassurer peut-être. C’est tout, même si ce n’est pas peu.

L’Eglise devrait dire intelligemment ce qu’elle a à dire

Je sais : la quantité n’est pas tout, ce n’est pas l’argument solide qu’on peut avancer contre les principes. De même pour d’autres arguments d’opportunité. Néanmoins, à l’inverse, s’en tenir aux principes revient toujours au même axiome, qu’avait déjà énoncé Charles Péguy : on a les mains pures, mais il n’y a plus de mains… Personnellement, j’ai tendance à penser que lors des débats à venir, l’Eglise devrait surtout dire intelligemment ce qu’elle a envie de dire – plus intelligemment qu’elle ne le fait, avec plus d’intelligence des situations –, mais sans en faire un cas de guerre et quitte à être (encore une fois) déconsidérée par les uns et par les autres et à mener un combat d’arrière-garde de plus.

Elle devrait laisser à d’autres les arguments apocalyptiques. Elle devrait laisser les gouvernements prendre leurs responsabilités et éviter de vouloir faire de la prophylaxie sociale – une société « propre » selon ses vœux – y compris en matière symbolique : ce temps est fini.

Si elle arrivait à poser question à quelques-uns, des questions qui seraient reçues comme légitimes et non tournées en dérision, ce serait déjà très bien. Mais ça supposerait aussi des réformes intérieures qu’elle ne semble pas prête à faire, déjà sur le rôle des hommes et des femmes dans l’Eglise et l’exercice des pouvoirs « sacrés ». Cela supposerait aussi qu’elle fasse plus d’efforts concrets pour parler déjà aux siens et les convaincre de la justesse de ses positions, et que nous soyons tout compte fait heureux voire fiers d’être catholiques. Qu’elle indique des voies pour faire le Bien dans la Cité politique plutôt que de constamment condamner le Mal qui s’y passe.

De toute façon, l’Eglise catholique fait trop de papiers sur tout : un peu de jeûne là-dessus, et un peu plus d’exercices pratiques positifs, ferait du bien. Mais un vrai « grand papier » de réflexion, qui inclurait l’essentiel des questions posées et des positions exprimées par tous les catholiques, aurait peut-être, en l’occurrence, du sens et serait éclairant.

Une attitude unilatérale d’opposition n’a aucun sens

Ce que nous (nous l’Eglise) n’arrivons pas à concevoir, c’est que ce monde et sa politique se fasse sans nous, comme si nous étions encore et toujours un tiers parti qui pourrait influer, en soi et de soi (simplement du fait que nous sommes la religion du pays, par une légitimité purement historique et indiscutée), sur les décisions, sur la culture, sur le droit, sur la loi, etc., alors que ce temps est déjà derrière nous. Il n’est plus possible d’imposer sa parole qu’en passant par les canaux de légitimation modernes : l’élection, les décisions justes, l’action reconnue légitime dans une place qu’il faut créer, trouver, imposer d’une certaine manière…

La « déférence » qui continue certes en faveur de l’Eglise dans certains milieux n’a souvent pas grand chose à voir avec la légitimité : c’est ou de l’héritage historique ou de la bienséance, ou, comme on le voit de-ci de-là, à droite, un « maurrassisme » culturel qui garde l’Eglise comme pilier moral et surtout esthétique dans une société laide moralement et branchée sur l’art comme elle ne l’a jamais été, comme un mort-de-soif… La seule façon juste de se poser serait d’avoir des élus politiques chrétiens, mais pour les problèmes en discussion, ce ne serait pas une garantie, parce qu’ils sont des élus du peuple et non des délégués de l’Eglise, et qu’ils ont aussi une conscience morale pour décider de ce qu’ils ont à faire et de ce qui est juste ou non.

Mais de toute façon on ne peut pas attendre qu’il y en ait beaucoup dans l’avenir proche… J’en déduis que c’est plutôt la position de l’Eglise, qui voudrait encore influer sur les décisions, qui devrait se repenser sur ces questions et sur d’autres. Elle n’a pas à faire profil bas pour autant, mais la position unilatérale d’opposition (attendue) n’a aucun sens.

Ma position est que les chrétiens peuvent être éclairés par leurs Eglises, mais qu’ils et elles ne peuvent plus imposer la loi politique et compter sur elles pour soutenir leurs positions éthiques (et s’ils sont d’accord avec les lois « qui permettent », tant mieux ou tant pis pour eux !). C’est une conséquence de la sécularisation radicale que nous avons vécue ces trente dernières années : plus de « théologico-politique » possible, sauf pour les intégristes et les fondamentalistes, qui en donnent l’image la pire !

Tout faire pour éviter une sorte de marginalisation

Je ne dis pas que c’est bien, j’aurais plutôt tendance à penser le contraire. Mais c’est un fait que nous en sommes là. Certains, que je connais et qui ne sont pas des intégristes du tout ni des tradis, ont voté contre Hollande à cause de ses trois projets. Ils ont à la fois raison et tort : raison, parce qu’en démocratie on a le droit de s’opposer en globalisant une question particulière, et qu’ils ont pris leurs responsabilités pour empêcher quelque chose dont ils ne voulaient pas. Tort, parce qu’ils en sont restés à une position purement éthique finalement, qui n’empêchera rien. Mais peut-être est-ce la seule forme de protestation encore possible. Sauf qu’il faut tout faire pour éviter une sorte de marginalisation, ou de vie en marge, ou de célébration de l’étrangeté catholique dans ce monde (à cet égard, je crains qu’on ne nous lise un peu trop souvent, par les temps qui courent, la « lettre à Diognète », en la tirant dans le sens d’un séparatisme un peu sectaire).

En 1974, après les débats sur la loi Veil (loi sur l’IVG), Témoignage chrétien avait résumé la position des cathos de gauche de l’époque : « Oui à la loi sur l’IVG, non à l’avortement ». C’était plausible comme position, même si les extrémistes de l’avortement ont cherché depuis ce moment à banaliser totalement cet acte et à le rendre « sans importance » (on l’a encore vu récemment dans une tribune publiée par des « féministes » dans Libération). Avec les trois lois qui nous attendent, je ne suis pas sûr que la position simple de TC soit encore possible. Il y a entre elles des points communs et de fortes différences éthiques, philosophiques, religieuses, avec aussi des conséquences différentes, dans une société profondément changée en matière légale, morale et religieuse.

Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions.



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