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Confession d’une enfant de la gauche

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En avril dernier, la blogueuse Mahaut a publié un billet intitulée Confession d’une enfant de la gauche. Engagée à gauche depuis longtemps, elle interroge ses convictions… ou plutôt, celles du parti socialiste. Une lecture intéressante.

© DR

Ma gauche, tu le sais, j’ai voté François Hollande le 6 mai 2012. Mais il faut que je te le dise: c’était mon dernier vote PS, et le prochain n’est pas près d’arriver.

Ma gauche, toi et moi, ensemble, on a parcouru un bout de chemin. Oh, certes, je n’étais pas d’accord sur tout avec toi (par exemple sur les questions de mœurs, où nous étions en franc désaccord) et le courant auquel j’appartenais (aile gauche du PS économiquement anti-libérale) était déjà suffisamment minoritaire pour que ma position soit inconfortable. Une catholique, de gauche, c’était mal vu à la fois dans l’Église catholique et à gauche. Mais je pensais que nous pourrions aller plus loin.

Seulement voilà, tes principales figures ont pris la fâcheuse habitude de considérer que leur ennemi n°1 est celle dans laquelle les convictions qui m’ont poussée à te rejoindre s’enracinent: j’ai nommé l’Église catholique. Tu le sais aussi bien que moi, au sein du PS, un bon chrétien est un protestant ou alors, au pire, un catholique qui n’aime pas le pape, jugé trop conservateur, et qui prend ses distances avec la hiérarchie ecclésiale. Quand mon attachement à l’Église catholique était chancelant, je m’en accommodais, même si le vendredi Saint, entre une réunion syndicale et l’office de la Passion, je choisissais sans aucun compromis possible l’office de la Passion.

Aujourd’hui, alors que la loi Taubira enflamme toujours autant l’opinion [l’article a été écrit en avril 2013, ndlr], les catholiques et l’Église catholique française sont pour toi aussi nocifs qu’Al Capone et Jack l’éventreur réunis. Pourtant, lorsque les évêques de France protestaient ouvertement – et suffisamment fort pour que le gouvernement se sente obligé de répondre – contre la politique anti-Roms de Sarkozy et du gouvernement Fillon, tu n’étais pas mécontente de les trouver à tes côtés. De toi à moi, je vais te confier un secret: heureusement que l’Église catholique et les catholiques sont là.

Il y a deux semaines, non loin de chez moi, un préfet a fait détruire un camp de Roms et les familles, avec de jeunes enfants, se sont retrouvées à la rue, alors qu’il faisait gris, pluvieux, et froid (de 3 à 5° la nuit). Qui a réagi? Qui a hébergé ces gens? Qui est venu dormir à la belle étoile avec les familles expulsées devant le tribunal où ces familles avaient déposé une requête urgente? Un prêtre catholique, le père Matthieu Thouvenot, fermement opposé à la loi Taubira. Je pourrais te parler aussi des Cercles de silence, auxquels tes militants participent régulièrement. Qui en est à l’initiative? Les frères franciscains de Toulouse. [Addenda: alors que j’écris ce billet, le diocèse dont est titulaire un cardinal français que tu as taxé d’homophobie il n’y a pas si longtemps vient de poster sur Twitter la date et le lieu du prochain cercle de silence dans ma ville. Comme quoi.] Il y a aussi la campagne du CCFD sur les paradis fiscaux, Aidons l’argent, à la grande visibilité médiatique en ce moment, actualité oblige.

Mais tout ça, la plupart de tes membres ne le savent pas. Les uns sont de bonne foi et tombent des nues quand ils entendent parler de la doctrine sociale de l’Église, les autres refusent de lire plus de deux lignes des écrits de Jean-Paul II et de Benoît XVI alors que, sur les questions économiques et écologiques, ils sont encore plus radicaux qu’un Jean-Luc Mélenchon auquel on aurait ôté son populisme tribun exacerbé et sa géopolitique bizarre. Dans ces conditions, c’est un peu difficile de faire valoir les points de compatibilité entre la gauche anti-libérale et la doctrine sociale de l’Église sur les questions autres que le trio IVG / euthanasie / mariage homosexuel, auquel tes militants ont un peu trop tendance à ramener toute discussion sur l’Église catholique.

À cause de toi, ma gauche, je me sens schizophrène. Sur la loi Taubira, et sur d’autres sujets, je vais de préférence m’informer sur des sites que je n’aime pas mais qui sont tout aussi opposés que moi à cette loi. Il n’y a bien que là-dessus que nous nous rejoignons, et les prémices philosophiques et théologiques qui nous conduisent à nous rejoindre sur cette opposition sont diamétralement opposés. Que veux-tu … Si les défenseurs de la loi Taubira, qui se recrutent essentiellement dans tes rangs, n’avaient pas pris l’habitude de crier « homophobe ! facho! réac ! obscurantiste ! danger pour la République » face à un argumentaire juridique de quinze pages, je ne serais pas obligée de me forcer à lire la prose de gens qui insultent les amis chers que j’ai rencontrés dans tes rangs et pour qui je ne suis pas une bonne catholique puisque je ne suis pas libérale (et si je ne suis pas libérale, c’est bien connu, je suis communiste nostalgique de l’URSS car il n’existe pas de troisième voie).

Mais il n’y a pas que ça et tu n’es pas la seule fautive. C’est vrai, depuis quelques années, j’ai évolué: mon antilibéralisme économique est devenu un antilibéralisme intégral. La découverte d’Ellul et de Bernanos, la lecture de Jean-Claude Michéa (une révélation, l’une des plus belles de ces dernières années), mon immersion dans le monde de l’objection de croissance, tout cela m’a éloignée de toi. Malgré les 30% de la motion 3 (dans un esprit de bonne volonté, je passe sur les accents radicaux très 1905 de quelques uns de ses passages), je ne crois plus que c’est avec toi que je vais changer le monde.

Le PS se noie dans une dérive libérale qui l’éloigne chaque jour un peu plus des classes populaires. Son incapacité à comprendre l’urgence écologique qui menace notre planète et qui devrait nous faire cesser instamment la course à la croissance infinie et éternelle est devenue incompatible avec un vrai engagement écologique, qu’il soit chrétien ou athée. Face à l’industrie biotechnologique qui nie à l’être humain sa dignité, il ne pèse plus rien.

Récemment, j’ai lu l’excellent livre de Jacques de Guillebon et Falk van Gaver, L’anarchisme chrétien. Si tu ne l’as pas lu, je te le conseille. Tu y retrouveras les accents auxquels nous vibrions en essayant de construire les lendemains qui chantent, mais avec le petit plus qui fait tout: l’espérance chrétienne.

Tant que l’écologie restera une option et l’urgence n°2864 sur ta liste, tant que tu voueras un culte à la croissance, je ne pourrai plus te suivre. L’anarchisme chrétien, l’écologie et l’objection de croissance m’attirent davantage, et elles sont hors du jeu politique.

En repensant à tout ce que nous avons vécu ensemble, j’ai quand même un petit pincement au cœur. C’est toi qui m’as tout appris. C’est en ton sein que j’ai appris l’esprit critique, le goût de l’analyse des projets de lois illisibles pour avoir des arguments qui se tiennent quand j’étais opposée à un projet. C’est même toi, splendide ironie du sort, qui m’a appris dans mes jeunes et folles années syndicales que celui qui ne partageait pas nos idées n’en était pas pour autant un sombre crétin. Tu restes quand même ma famille politique d’origine.

Nous nous recroiserons sans doute, probablement, même, dans nos combats et aspirations communes. Je continuerai à avoir de l’émotion dans la voix en évoquant mes années de syndicalisme étudiant, si décisives dans la formation de ma pensée politique actuelle. Je ne peux plus te suivre mais je continue à t’aimer, quand même, malgré tes défauts. Parce que tu resteras à jamais ma famille politique d’origine, je continuerai à te dire que tu me déçois, à argumenter contre tes bêtises, et aussi à défendre tes militants, parce qu’il y a parmi eux des gens très bien.

Mais avant de m’éloigner, je te le dis: je ne passerai pas à droite.

Mahaut, blogueuse sur visiblesetinvisibles.org



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