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Du droit de mourir dans la dignité

« Ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort »
Antoine de Saint-Exupéry

Alors que le rapport du professeur Sicard vient d’être remis au président de la République,  il ne faudrait pas comme l’écrit Dominique Quinio dans La Croix (1) que le débat se limite à la mise en œuvre de l’engagement 21 du programme électoral du candidat François Hollande. C’est une invitation à se soucier de la fin de vie bien en amont […].

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Ce texte n’est pas une analyse des propositions du professeur Sicard. C’est plutôt une façon de poser le problème autrement que par la question « pour ou contre l’euthanasie ».

Cette réflexion est globale et ne s’appuie pas sur des cas particuliers dramatiques hyper-médiatisés. Ceux-ci sont par définition exceptionnels et ne devraient pas permettre de fonder une législation générale qui s’appliquerait ensuite à tous.

De quoi s’agit-il ?

Rappelons d’abord les termes exacts de la proposition de François Hollande : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité »

Cette assistance médicalisée ainsi formulée est très encadrée, très limitée, et n’évoque ni le mot de suicide pas plus que celui d’euthanasie.

François Hollande dans une interview à l’hebdomadaire La Vie a d’ailleurs formulé les problèmes posés par cette proposition si elle devait aller sur d’autres terrains que ceux de la loi Léonetti, si mal connue par ailleurs : « j’ai été confronté à l’agonie de ma propre mère et je sais les phases que peut traverser une personne confrontée à une terrible maladie. Mais elle ne peut pas être seule à en décider. En soins palliatifs, à quel moment arrête-t-on un traitement ? Qui en décide ? Quel est le rôle de la famille et le devoir du corps médical ? Ces questions méritent un débat maîtrisé » (2)

Ne faisons donc pas dire à cette proposition ce qu’elle ne propose pas.

D’autant que sur un sujet aussi sensible, les surenchères ne vont pas manquer.

La dignité ?

Ce qui peut interroger et qui mériterait d’être débattu, par tous, ce sont les termes utilisés dans la fin de la proposition : « Terminer sa vie dans la dignité » qui est par ailleurs formulé de manière revendicative en « droit de mourir dans la dignité ».

Tout d’abord la question du « droit de ». Celui-ci n’est compréhensible qu’en associant le fait de mourir à quelque chose pour le qualifier. Car mourir, en soi, ce n’est pas un droit, c’est la destinée commune. Tout le monde naît, vit et meurt. Encore que, si on inverse tout : pour mourir, il faut avoir vécu et pour vivre il faut naître mais c’est un autre sujet. Tout le monde meurt, donc il est inutile d’en faire un droit.

En revanche mourir dans la dignité est devenu un droit, et un droit revendiqué, d’où la proposition de François Hollande.

Or quel est ce droit ? Il faudrait d’abord savoir ce que signifie mourir dans la dignité. Être capable de définir ce qu’est la mort dans la dignité, c’est être capable à contrario de définir ce qu’est une mort indigne.

Qui peut dire que telle mort est indigne et telle autre ne l’est pas ? Est-ce la mort en tant que telle qui peut être indigne ou la situation dans laquelle survient la mort ?

Pour les uns c’est mourir sans souffrances, ou mourir avec un degré de souffrance supportable, pour d’autres c’est mourir sans déchéance physique ou morale ou en acceptant un certain degré de déchéance.

La dignité de l’entrée dans la mort peut être aussi conditionnée par le lieu de la mort : à la maison, à l’hôpital. Elle peut être aussi conditionnée par le degré de solitude de la personne. Est-ce que mourir dans la dignité c’est mourir entouré ? Ne voit-on pas souvent cette formule sur les faire-part de décès « … nous a quittés entourés des siens » ? Et entourés par qui ? Des proches ? Des professionnels de santé ? (professionnels de santé qui deviendraient des professionnels d’entrée dans la mort ? ). A l’inverse une mort dans la solitude serait une mort indigne ?

Qui peut répondre aux questions posées par la fin de vie ou à l’entrée dans la mort ?

Qui peut répondre à ces questions et surtout qui est en mesure d’apporter une réponse ? Ces réponses peuvent-elles entrer dans un cadre législatif ?

Sans jouer sur les mots : parle-t-on de terminer sa vie dans la dignité ou d’entrer dans la mort dans la dignité ? Ce n’est pas la même chose non plus. La personne concernée peut-elle répondre  seule ? Et les médecins ? Et l’entourage ? Tous ? Au risque de créer comme un tribunal de fin de vie avec administration d’une nouvelle forme de peine de mort ?

Qui peut répondre ? Est-il possible de répondre ?

La mort ne sera jamais un voyage tranquille.

Pour un chrétien, la mort n’est pas une fin. Elle est un passage. L’idée de la mort devient supportable, si tant est qu’elle puisse l’être, grâce à l’espérance de la résurrection.

Mais restons d’abord sur la notion de passage. La vie est une succession de passages. Aucun ne s’effectue réellement sans douleur. Que ce soit la naissance, l’adolescence, le mariage (ou plus simplement le passage d’une vie de célibataire à une vie en couple), devenir parent, devenir retraité, et évidemment finir sa vie.

Tous les moments de la vie qui ont pour conséquence la transformation de la personne parce qu’elle passe d’un état à un autre ne se font jamais sans douleur ou sans souffrance, physique ou morale.

Or dans ces moments de passage, l’être humain n’est pas aussi disponible, performant, productif, compétitif que dans les moments de stabilité.

La vraie question est : l’accepte-t-on ou pas ? Et si on l’accepte, à quel prix ?

Si pour une personne dite en fin de vie, la mort dans la dignité c’est mourir entouré des siens, quelle durée est acceptable pour un employeur pour libérer un proche et lui financer des congés, ou simplement pour aménager des horaires ?

Si mourir dans la dignité c’est mourir chez soi, accepte t-on de financer suffisamment d’équipes mobiles de soins palliatifs ?

Pourquoi n’accorde t-on un congé à un proche que si l’hospitalisation se fait à domicile ? Le proche devient-il dans ce cas un professionnel de santé ?

Et si mourir dans la dignité n’était qu’un moyen de faire survenir la mort rapidement ? Mourir de façon performante, compétitive ?

Notre société a évacué la mort

Le problème ne réside-t-il pas dans le fait qu’on ne pense plus la vie sans penser la mort ?

Notre société a évacué la mort. Lorsqu’elle survient, elle tend à devenir un événement plus familial que social, privé plus que public. Comme la religion d’ailleurs…

Pourquoi ? Parce que la mort crée aussi une douleur qui rend moins performant et compétitif. Aussi les marques du deuil ont disparu, sa reconnaissance sociale également, certes on compatit pendant quelques instants avec des endeuillés puis on oublie aussitôt. Or la mort n’est pas un événement privé, elle est et devrait rester un événement social. Mais le refus de la visibilité de la mort, et de sa conséquence, le deuil, a des incidences sur la conception de la fin de vie. S’il faut du temps à des proches d’un défunt pour faire leur deuil, il en va de même pour la période en amont de la mort, ce qu’on appelle donc la fin de vie. Tout comme comme les proches d’un défunt devraient être soutenus pendant le deuil, le mourant et ses proches devraient aussi être accompagnés, aidés, faire l’objet d’attention et de solidarité.

La question sociétale n’est-elle pas la suivante : et si une fin de vie digne était une fin de vie sans conséquence, sans incidence sur la personne concernée et ses proches donc sans effet sur la société ?

Si c’est cela terminer sa vie dans la dignité, il faut s’interroger sur l’évolution de la société. La fin de vie dite dans la dignité n’est-elle pas dans notre société matérialiste et compétitive un simple substitut au mythe de l’immortalité et de l’éternelle jeunesse ?

Finalement, terminer sa vie dans la dignité ce serait mourir vite, en bonne santé, et pas trop vieux.

Ce concept de mort dans la dignité, pour le moins flou, en tous cas fort subjectif, ne marquerait-il pas tout simplement le refus de ce qui définit notre condition humaine ?

Encore une question : Jésus, qui justement a partagé notre condition humaine, est-il mort dans la dignité ?

Plutôt que de médicaliser la mort, de s’en emparer en la confiant (en la déléguant) à des professionnels de santé, ne pourrait-on pas vivre en se préparant à la mort, en y réfléchissant de façon éthique, philosophique, religieuse,… ?

Mais est-ce dans l’air du temps ? Un piqûre pour hâter les derniers instants n’est-elle pas plus conforme ? Vite fait, bien fait !

Qu’en pense l’Église catholique ?

Tout est dit dans ce court paragraphe tiré du texte de la conférence des évêques de France d’octobre 2011 « Quel vote pour quelle société ? » :

toute personne, quel que soit son âge, son état de fatigue, son handicap ou sa maladie, n’en garde pas moins sa dignité. Pour cette raison, « l’euthanasie est une fausse solution au drame de la souffrance, une solution indigne de l’homme » (Benoît XVI) car elle vise, sous prétexte de compassion, à abandonner les personnes au moment où elles ont le plus besoin d’aide et d’accompagnement. L’arrivée de générations importantes dans le grand âge doit inviter la société à une plus grande solidarité. Le développement des soins palliatifs, fruit d’un progrès éthique et scientifique, doit être poursuivi pour que tous ceux qui en ont besoin puissent en bénéficier.

Les évêques contrairement à la demande sociétale n’opposent pas la dignité de la personne et son état (âge, fatigue, handicap, maladie). Et le respect de la dignité ne déclenche pas un droit à mourir mais au contraire impose à la société un certain nombre de devoirs, exigeants d’ailleurs : plus d’aide et d’accompagnement, plus de solidarité, développement des soins palliatifs.

Notre société, nous-mêmes tout simplement, sommes-nous prêts à consentir ces efforts, pour celles et ceux qui vont nous quitter ainsi que pour nous-mêmes ? Quelle société voulons-nous ?

Là sont les vraies questions.

Et pour tenter d’y répondre, il serait bon que toute personne en France connaisse les principales dispositions de la loi existante (3) avant de débattre d’une nouvelle proposition.

Comme l’avait dit Mgr Podvin lors d’un pèlerinage à Lourdes en mars dernier : « tenir la main jusqu’au bout est la meilleure des réponses contre l’euthanasie. »

(1) http://www.la-croix.com/Debats/Opinions/Editos/En-amont-de-la-mort.-Par-Dominique-Quinio-_NG_-2012-12-17-888989

(2) la Vie.fr du 15 décembre 2011

(3) Dossiers sur les droits des malades en fin de vie :
http://www.lavie.fr/www/files/pdf/droits-des-malades-et-fin-de-vie.pdf
http://www.pelerin.com/L-actualite-autrement/Fin-de-vie-quelle-societe-voulons-nous


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