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De qui Richard Prasquier est-il le représentant ?

Stéphane Hessel est mort. Cet humaniste, à la fois écrivain, diplomate, et résistant, vient de s’éteindre à l’âge de 95 ans. L’auteur du phénomène éditorial Indignez-vous, qui s’est vendu à presque 5 millions d’exemplaires, authentique action d’éducation populaire, était un homme de cœur et de conviction. A tel point que Richard Prasquier, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), a publié un communiqué de presse haineux à l’encontre d’ un défenseur acharné de la cause palestinienne, créant la polémique. Didier da Silva réagit à son tour.

Charles Péguy disait : « Il faut être sérieux. » Il serait en effet pratique de décortiquer l’étonnant communiqué de presse de Monsieur Richard Prasquier à la manière d’un  Péguy dans Un nouveau théologien : Monsieur Laudet, qui, en 1911, réfutait vigoureusement, quoique très scolairement, c’est-à-dire point par point et ligne par ligne, les attaques qui lui était faites sur son retour à la foi catholique.

Ce ne sera qu’en partie l’objet de ma réaction. Monsieur Prasquier ne vaut pas moins que Monsieur Laudet, mais il n’est pas plus que ceux qui méritent tout autant que lui de se faire vertement remettre à leur place quand la ligne blanche de la décence est franchie. Je veux dire par là que Monsieur Prasquier, en salissant sans vergogne Stéphane Hessel, le jour même de son décès, en ayant recours à une idéologie de la négation, proprement sidérante, en cédant plus par démagogie à l’exécution, plus rentable médiatiquement, qu’à la critique, moins simple intellectuellement, scandalisent celles et ceux qui, en France, juifs ou pas, pensent qu’il faut être moderne à bouffer du foin pour croire encore que Monsieur Prasquier est représentatif de quoi que ce soit.

C’est le moins que je puisse faire pour un homme qui a su redonner le goût de l’indignation, donc de la liberté, de la justice et de la fraternité aux jeunes générations grâce à son livre de combat pleinement tourné vers la défense de la personne humaine. Mais je ne ferai pas plus non plus, parce que Stéphane Hessel n’est pas intouchable, que personne n’est intouchable, surtout pas Monsieur Prasquier, et que, Hessel au Panthéon ne peut être qu’une idée ringarde de la frange la plus spectaculaire de la gauche sociétaliste hystérique. L’indignation de Hessel ne mourra pas de sitôt, parce qu’elle est vivante, parce qu’elle est personnaliste, n’en déplaise à Monsieur Prasquier et à la gauche morbide et possédée du journal Libération, pressée d’enterrer une capacité d’indignation dont elle commence, à bon droit, à faire les frais.

Mais qu’a donc dit Monsieur Prasquier pour révulser autant mon sens si tendu du respect dû au défunt, ma sensibilité maladive à l’éthique, ma petite et très personnelle morale élémentaire ? Je lis par exemple ceci, dans le communiqué de presse de Monsieur Prasquier : « Il va sans dire que nous étions effarés par le succès de son fascicule d’une indigente indignation. » Monsieur Prasquier, lui, n’a rien écrit du tout, ce qui me met à l’abri d’une éventuelle indigestion conceptuelle, surtout si, un jour, sa prose acariâtre s’étend comme une métastase à un ouvrage de plus de 32 pages, comme celui de Stéphane Hessel. Ou alors, l’estomac de Monsieur Prasquier doit être bien fragile pour ne pas supporter l’évidence, c’est-à-dire la vérité, sur un certain nombre de choses défendues par nombre d’Israéliens eux-mêmes, et d’abord par l’écrivain d’origine juive Hessel Stéphane. Choses au nombre desquelles le sort fait par l’État d’Israël aux Palestiniens occupe une place de choix. Une place qui gêne manifestement Monsieur Prasquier, au point de lui faire perdre la mémoire quand aux engagements passés du CRIF, à savoir le droit reconnu du peuple palestinien à un État.

Ce qui invalide un tant soit peu son affirmation quand il claironne qu’« il est de notoriété publique que nous étions très opposés à ses prises de position, notamment à sa volonté obsessionnelle de faire de Gaza l’épicentre de l’injustice dans ce monde et du Hamas un mouvement pacifique ». Monsieur Prasquier n’est peut-être, finalement, que le prétendu représentant des juifs de France, puisque sa partialité a conduit l’Union des juifs pour la résistance et l’entraide à quitter le CRIF en 2009, condamnant justement l’absence de pluralisme au sein du CRIF. Depuis que Monsieur Prasquier a été « élu ». Ce qui est un comble. Ou une faiblesse d’expression dans la bouche d’un président qui dit Nous quand il veut dire Je. A moins encore qu’il y ait une volonté obsessionnelle de Monsieur Prasquier de faire de Stéphane Hessel l’épicentre de ses propres insuffisances, et du CRIF un mouvement authentiquement représentatif.

Je ne suis, soyons clair, ni Juif, ni Palestinien ; mais je sais tout ce que la gauche chrétienne doit à un homme comme Stéphane Hessel. Si je crois encore que « tout n’est pas foutu » en ce bas-monde, en tout cas pas assez pour ne pas m’indigner d’un communiqué de presse indigne, c’est à ce vieillard obstiné que je le dois.

Car, stupéfaction totale, outrage incroyable donc, quand je lis finalement dans le quotidien de révérence d’hier, c’est-à-dire Le Monde, que « le travail de déconstruction de Stéphane Hessel sera effectué ». De quelle déconstruction est-il question ? Que signifie cette manipulation ? Monsieur Prasquier a-t-il la risible prétention d’éradiquer le patient travail de reconstruction entamé par Stéphane Hessel quant aux vertus démocratiques, libératrices et émancipatrices de l’indignation, dans nos sociétés livrées aux errements de milliers de Prasquier mécontents quand le réel se rebiffe ? Compte-t-il, Monsieur Prasquier du CRIF, faire acte volontaire et idéologique d’oubli, oubliant, lui, que nous ne l’oublierons pas, nous ? Ira-t-il jusqu’à nier qu’un dénommé Stéphane Hessel, ancien déporté et résistant, a eu des indignations moins sélectives que lui ? Je ne sais. Mais je comprends la douleur de mes amis juifs qui, tant s’en faut, regrettent qu’on prennent en leur nom de telle positions, qui déshonorent, qui avilissent. Et qui ridiculisent. Je pense seulement, quant à moi, et comme Péguy, que les « âmes turpides vont aux turpitudes ».


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